

Le Halal est-il incompatible avec le bien-être animal ?
Dans ses mémoires, Ford affirme s’être inspiré de la chaîne de dépeçage des abattoirs de Chicago pour créer les premières chaînes de montage automobile. L’abattage industriel fut probablement la première industrie de masse. Ce « modèle Fordiste » de production fut ensuite le pilier de la croissance économique du XXe siècle. Objectif de ce système, la cadence, toujours la cadence, avec un impératif en tête: le rendement.
Aujourd’hui, toutes les problématiques autour de la production de viandes : le halal, l’assommage ou le bien-être animal sont tous liés à ce seul impératif :
la rentabilité financière.
Avis religieux et rentabilité financière : la fraude
La législation européenne impose que les animaux d’abattoirs, au moment d’être saignés, doivent être totalement inertes (inconscients ou morts). Ils sont, selon l’euphémisme utilisé, «assommés» avant la saignée. La pratique de cet « assommage » entraine dans de nombreux cas la mort de l’animal avant même la saignée. Les cultes musulmans et les juifs refusent ainsi cette mise à mort industriel qui ne dit pas son nom. Pour cet assommage préalable, seul le pistolet d’abattage, l’électrocution (électronarcose) ou le gaz sont autorisés.
Dans certains pays de l’Union européenne dont la France, il existe des dérogations législatives permettant aux communautés juives et musulmanes de saigner les animaux sans être dans l’obligation de les « assommer » préalablement.
En fait, c’est surtout l’electronarcose appliquée à la volaille qui pose le plus gros problème. La volaille est la viande dite halal la plus consommée au monde. Or dans les chaines d’abattage, les paramètres d’electrocution imposées par la réglementation européenne entraîne généralement la mort de la volaille. C’est la raison pour laquelle, la quasi-totalité des conseils de savants musulmans ont déclaré que l’électronarcose de volaille avant l’abattage rituel ne pouvait pas être acceptée.
Mais l’electronarcose des volailles, dans le cadre d’un abattage de masse, permet d’abattre les volailles avec un moindre coût. Ainsi, un abattage de volaille qui applique l’électronarcose, peut espérer un abattage de 10 à 15 000 poulets/heure. Alors que pour un abattage halal sans electronarcose, cet cadence tombe autour 3 000 poulets/heure. De plus, dans les chaines d’abattage halal sans electronarcose, les volailles non assommés se débattent tellement qu’elles brisent leurs ailes et celles de leurs congénères, tout en communiquant leur stress à toute la chaîne d’abattage. Pour l’industriel qui désire réellement produire de la volaille halal, tous ces aléas (ailes brisées invendables, chaine ralentie) sont des pertes sèches qui parfois encourage à la fraude. Il faut savoir qu’au minimum 95% des volailles dites halal en France et en Belgique sont en fait abattus avec electronarcose. AVS reste l’un des rares organismes de certification qui persiste à refuser toute electronarcose.
Assommage et douleur animale : le faux pretexte
Récemment, les instances européennes ont avancé le prétexte du bien-être animal pour considérer que l’assommage préalable à la saignée est incompatible avec l’pposition du label bio. On utilisera ce même prétexte pour interdire un abattage halal sans assommage en Belgique.
Or l’abattage halal sans assommage n’est pas plus douloureux en soi, il est d’abord fonction de la formation du sacrificateur, de la qualité de son équipement, d’aspects liés à l’animal [p. 232] mais aussi du contexte industriel dans lequel s’effectue l’abattage.
Lors de l’abattage non halal avec assommage, les scientifiques dans un rapport produit par l’INRA[1], affirment que les techniques d’assommmage sont loin de prévenir toute douleur animale et parfois, elle serait elle-même productrice de douleurs supllémentaires. Selon l’étude : « un mauvais paramétrage ou un mauvais contact entre les électrodes et l’animal, l’inconscience n’est pas induite, l’animal perçoit des douleurs. »
[p. 222]
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- Chez les ovins, « la présence de laine empêche le passage du courant, peut être à l’origine d’électronarcose manquées. » [p. 222] ;
- Chez les volailles, « les chocs électriques peuvent induire des mouvements d’ailes et par conséquent, la tête de l’animal peut manquer partiellement ou complètement le bain électrifié. »
[p. 222]
Cette électronarcose manquée a pour conséquence terrible de faire passer la bête dans l’échaudoir (déplumeuse) tout en étant vivante.
- Chez les bovins, le pistolet à mèche captive pénétrante ou non pénétrante provoquant des lésions importantes au niveau du crâne et du cerveau, « on constate un taux relativement élevé de non-réussite laissant penser que cette méthode peut également être une source de douleur intense. »
[p. 225]
Cet « assommage » ou « étourdissement » est en fait devenu une nouvelle technique de mise à mort lors d’un abattage de masse qui pose bien plus de problèmes que prévu.
Finalement, lorqu’il s’agit de comparer l’impact douloureux des deux types d’abattages (avec ou sans assommage), l’Etude scientifique de l’INRA conclut en ces termes : « À ce jour, il semble qu’il n’existe encore aucune certitude parfaite quant au procédé d’abattage le moins douloureux [avec ou sans assommage préalable] ; les convictions s’affrontent donc toujours. » [p. 21]
Au delà de l’assommage, des alternatives possibles
L’industrialisation de la production des viandes a transformé les animaux d’élevage en de véritables « machines animales » à haut rendement. La sensibilité animale a été occultée au nom de la rentabilité financière. Les organisations de protection animale le dénoncent très justement même si certaines de ces organisations multiplient injustement des polémiques sur l’abattage halal.
Mais au-delà de ces polémiques malintentionnées ou non, il est urgent de remettre en question notre manière de considérer le vivant dans nos modes de production intensive et de surconsommation des viandes. Des initiatives alternatives sont possibles : favoriser un élevage qui respecte l’animal, développper des abattoirs plus petits et de proximité, limiter au maximum le déplacement des animaux, promouvoir l’abattage à la ferme, recréer du lien entre la ville et la campagne, développer les circuits courts, se réapproprier une alimentation saine et équilibrée, car ce n’est pas qu’une question d’élevage et d’abattage, mais aussi de consommation et donc d’éducation.
[1] Pierre Le Neindre, Raphaël Guatteo, Daniel Guémené, Jean-Luc Guichet, Karine Latouche, Christine Leterrier, Olivier Levionnois, Pierre Mormède, Armelle Prunier, Alain Serrie, Jacques Servière (éditeurs), 2009. Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage. Expertise scientifique collective, rapport d’expertise, INRA (France), 340 p. Le rapport d’expertise, élaboré par plusieurs dizaines d’experts scientifiques, est disponible en ligne sur le site de l’INRA :